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DÉMARCHE ARTISTIQUE


Motif quasi omniprésent dans le travail de Nahomi Del Aguila, la figure du serpent est un symbole récurrent des mythologies méso-américaines et andines. Il est autant le représentant du monde sous-terrain que des rivières dont il a tracé les sillons dans les premiers temps du monde. Mais la figure prend une forme singulière, on ne voit pas la bête dans son ensemble, seule une partie de son corps tortueux nous est donnée, il nous échappe, comme il échappe au temps, glissant sur ses écailles colorées. Il surgit de nulle-part et on ne peut qu’imaginer sa destination. Force immuable, il traverse les espaces et les âges en imprimant le monde de son passage, il creuse le lit des rivières, irriguant la terre d’une vigueur nouvelle.

Dans le travail de Nahomi, l’évocation de l’eau est celle d’un lien, autant géographique, temporel qu’affectif. Celle-ci la relie avec le passé, familial, dans un premier temps, mais aussi historique, colonial, qui a vu l’Amérique du Sud être submergée par l’entreprise impériale portugaise et espagnole; mais aussi la prospérité du port nantais.

La mémoire ainsi contenue transporte l’artiste vers une perception de sa propre identité, présente dans chacune de ces eaux, de ces hémisphères. Elle vient alors tirer dans la géométrie Chancay et les études naturalistes la peau du serpent, la mue faite motif, dont chaque écaille, affichée ou peinte au mur, construit une idée et une affirmation du soi.

Cette construction identitaire s’est aussi ancrée dans l’expérience même de la durée, grâce aux gestes quotidiens appris en famille, du travail manuel, culturel, celui de la terre, de la cuisine, de la broderie. Une mémoire gestuelle se poursuit à mesure que les fils s’entrecroisent, racontant une lignée, resserrant les liens au déploiement de la parole qui l’accompagne.

Le travail de Nahomi Del Aguila vient faire se rencontrer les mythes et les anecdotes, les traditions et les pratiques populaires, les cosmologies et les territoires dans une œuvre qui interroge son propre déploiement matériel, gestuel et temporel.

Antoine Bertron




Mon travail s’organise autour de la symbolique du serpent, l’expérience du temps et le fleuve. Étant franco-péruvienne, j’habite un espace en constant dialogue et négociation entre mes deux cultures. Ainsi, je traduis visuellement la transformation de mon identité et la quête d’une voix propre. L’iconographie des textiles préhispaniques péruviens a été le premier outil artistique qui m’a permis de m’exprimer sur mes origines. Ma pratique s’enracine à la relation que j’entretiens avec l’Amazonie et ses récits ainsi qu’à d’autres mythes d’origines.

Au commencement, c’est par l’utilisation de la répétition d’un motif, démarche associée à l’art préhispanique péruvien, que j’ancre mon travail dans une exploration picturale. C’est ensuite, lorsque je lie un tissage de la culture Chancay au dessin d’un serpent issu d’un livre d’histoire naturelle, que j’initie un travail autour de l’écaille et de la peau de serpent pour expérimenter couleurs et motifs.

Les peaux de serpent que j’ai réalisées se sont déployé sur différents supports, formats et espaces. Le serpent s’invite autant sur des grandes surfaces de murs que sur des espaces d’affichage en extérieurs. La symbolique qu’englobe cet animal a pris force en se connectant à l’idée de transformation par l’image de la mue. Ce qui m’a permis d’aborder les questions de transformation et de mutation identitaire qui sont au centre de ma recherche en tant qu’artiste et individu.

Un mythe d’origine raconte comment le serpent a creusé la terre pour créer le fleuve Amazone. Dans sa mythologie la Loire est également associée au serpent par l’image de la Vouivre. Associés a des symboliques universelles et des croyances locales, ces fleuves ont été les témoins d’évènements historiques communs déterminant la transformation de leurs écosystèmes. Ils montrent le chemin de la rencontre entre différents territoires et leurs histoires.



Je découvre aussi le fleuve comme guide pour me montrer la route vers mes ancêtres. Le fleuve est mémoire et parole.



C’est lors de moments partagés en discutant, cuisinant, en travaillant la terre ou brodant avec ma famille péruvienne originaire de la forêt, que d’autres expériences au temps ont émergé. Ces gestes précis accompagnés de récits se sont présentés comme résistance face aux cadences imposées par un monde mécanisé. Comptabiliser le temps et la durée par le biais de la broderie, imaginer le textile comme un témoignage physique du temps passé surgit alors. C’est ainsi que la pratique de la broderie dans mon travail, plus qu’une quête technique, est devenue une performance pour réfléchir aux gestes du corps et réhabiliter l’expérience de son temps. Broderie et conversation deviennent indissociables au partage de la mémoire.

Mes projets cherchent à mettre en évidence les gestes qui parlent du temps, différentes chronologies, la mémoire, le fleuve et les processus de transformation. Je veux mettre en dialogue plusieurs voix et manières de voir-expérimenter le monde selon différents territoires. Pour cela, je fais recours à des éléments symboliques présents dans les imaginaires collectifs mais qui me permettent d’exprimer et de montrer la peau singulière qui me caractérise.


Nahomi Del Aguila